Un Gramenon ? deux grammes oui !

Tout en Bulles – Substance – Marguerite – Carco – Mémé – Dilettante – Oncle Léon – Isidore – Vin d’Autan. Les quilles défilent rapidement sur un fond bucolique en plan large – Richard Wagner et ses vierges guerrières occupent tout l’espace sonore – Léger travelling arrière – ralenti sur un magnum de Mémé 2000.

La stabilité verticale de l’image n’est pas exempte de reproche, mais bon, on se doute de la provenance amateur de la source.

Cela repart : Ultime – Comeyre – Pète la Soif – Vin de Méditation – Cornaline – Les Laquets – Côte du Py.

Une sélection drastique pour un casting de rêve.

Une sélection drastique pour un casting de rêve.

Ça sent le long métrage – la machine s’emballe – la netteté en pâtit – l’arrière-plan quitte le bleu azuréen pour basculer sur un vert gazon – Apparition dans le champ, juste en haut d’un arc de cercle qui vient masquer l’image et se déforme pour envahir le cadre – Obturation totale sur un noir intense et silencieux – quelques secondes sans émission – les Walkyries se sont tues – et cet avertissement : « Suite à un arrêt momentané d’une catégorie de notre personnel, je ne peux assurer correctement la continuité de mon émission. Je vous prions de excuser moi ». Arrivent en arrière-plan sonore les tambours de la Marche des Eclopés – retour sur un écran figé, un écran d’un rouge lumineux et gourmand, gourmand comme un beau jus de grenache bouillonnant, une promesse d’ivresse.

Cet air entêtant de Gainsbourg que Jacques a siffloté et chantonné toute la matinée aurait dû nous alerter « …et bang ! On embrasse les platanes…Et à gauche, à droite… Et à gauche, à droite. » Mais là ça a fait « Et à gauche, à droite, droite, droite… »

Heureusement intervention rapide de l'antenne locale de Pochetrons Sans Frontières.

Heureusement intervention rapide de l’antenne locale de Pochetrons Sans Frontières.

Laurent aussi l’a senti, dès le départ, il m’a dit « P… ! L’Grofé, il envoie ! » Nous avions à peine eu le temps de caler nos fesses dans les deux voitures suiveuses que l’ami avait déjà pris le large debout sur sa moto de trial. Censé nous ouvrir la voie et évaluer les risques de rencontres inopportunes, il devait être le borgne guidant les aveugles vers la Terre Promise, là où dans un fil d’eau claire et fraiche se prélassent dans l’onde vive bouteilles et magnums de bière alors que nous pratiquons le noble art qu’est la pétanque, école de sagesse, de grâce, d’humilité et de fairplay.

Pas le temps de passer la quatrième que nous étions stoppés net par un attroupement en bord de route, deux voitures et une dizaine de personnes. Dans le lot, à part nos camarades de jeu, un couple d’étrangers avec leurs enfants et dépassant du troupeau, un casque de moto, visière en biais comme une virgule barrant le visage de notre Grofé, maquillé à la râpe. Laurent, cette fois dans l’analyse et le diagnostic, laissa tomber la synthèse « Poussée de rosacée intense et non circonscrite! ».

Un mouchoir en papier humecté de salive aseptique, un toucher délicat d’apprenti-boucher allié à une véritable envie de bien faire malgré une vision trouble, permit à Rénato de désincruster la plupart des graviers. Les derniers furent extraits du bout de cet ongle que d’ordinaire il réservait à des tâches tant auriculaires que nasales.

Pendant qu’il prodiguait les premiers soins, du coin de l’œil les touristes nous dévisageaient, dans le regard, une sorte d’ahurissement mêlé d’angoisse à peine voilé. Sans prononcer un mot, après que le père ait donné le signal du départ en fracturant du coude les côtes de sa femme, ils ont très rapidement quitté le terrain des opérations.

Huit types coiffés de calottes, chéchias et autres kippas formant par leurs exhalaisons fétides un nuage instable d’alcool, arrivant précipitamment sur les trousses d’un potentiel fugitif ou otage en fuite par ces temps de psychose islamique aigue peuvent facilement perturber le chaland.

Jacques, casque de guingois, sourire de « ravi » aux lèvres et yeux dans le lointain, nous expliqua se souvenir s’être inquiété, un peu tardivement il est vrai, du changement soudain de nature du revêtement de sol. Ce qu’il n’avait pas analysé visuellement avec son seul neurone disponible, via la selle, son arrière-train le lui avait transmis dans l’instant. Le système nerveux central hors service, celui-ci prit le contrôle des opérations. L’information fut déchiffrée et transmise au poste de garde le plus proche encore ouvert à cette heure-là. Application de la procédure d’urgence avec passage en mode recyclage interne, toute communication avec l’extérieur devenant dès cet instant impossible lui imposa pour le reste de la journée, le bassin en avant, une démarche étriquée, un peu pincée. Après une vingtaine de mètres passés à tenter de rééquilibrer désespérément la moto, la trajectoire étant définitivement corrompue et l’heure de la sieste aidant, D’Jack avait opté pour la solution sage en telle situation, se coucher, si possible dans cette herbe tendre, toute proche, si proche. Malheureusement avant d’atteindre son carré de gazon, il testa du museau le pouvoir abrasif du bitume, d’où ce maquillage façon betterave râpée.

Plutôt qu'un film, la photo de la partie de boules.

Plutôt qu’un film, la photo de la partie de boules.

Le temps de rapatrier la moto au chalet, de parfaire les pansements et nous repartions pour le terrain de boules. Depuis que nous nous retrouvons chaque année pour ce week-end « Talibans », jamais, je dis bien jamais, nous n’avons raté « La Partie de Boules ». Alors ce n’est pas une petite gamelle qui allait nous freiner, d’autant plus que la douleur nous était tout à fait supportable.

Nous ne jouions pas depuis plus de deux, trois litres que nous vîmes une ambulance de pompiers se garer en bordure du terrain de jeu. Bouteilles et verres étant exposés sur le banc, nous nous doutions bien qu’ils ne venaient pas nous informer des conséquences de la déshydratation chez les représentants du troisième âge, mais de quoi alors ? Une tournée de routine ? Non !

La pompière s’adressant à notre blessé lui demanda s’il était bien « L’Homme à la moto », auquel cas, elle souhaitait qu’il la rejoigne dans l’ambulance.

Dans la chute le genou droit avait aussi dégusté et apportait à sa démarche une touche nous faisant immanquablement penser à Boris Karloff dans Frankenstein, la Belle lui évitant le lynchage et par sa seule voix ramenant La Créature dans son univers. « Venez Monsieur! Venez ! Suivez-moi !» Seul manquait le crin-crin du violon piaillard en fond sonore.

Relâché après la visite de contrôle, Jacques réintégra son équipe afin d’y prendre sa part active dans la défaite. La dame du feu m’appela discrètement afin de me communiquer le diagnostic. Rien à signaler d’alarmant mais elle me conseilla de lui porter attention car les propos qu’il avait tenus étaient pour le moins étranges, à tel point qu’elle avait supposé un instant l’absence de port du casque.

Une fois dans le camion, après qu’il lui eut décliné son état-civil, il avait cherché un stylo et demandé où se trouvait l’album qu’elle souhaitait qu’il lui dédicaçât puis l’avait chaleureusement remerciée, subjugué qu’il était de rencontrer une admiratrice qui connut jusqu’à ses date et lieu de naissance. Il lui avait dit tout le plaisir qu’il avait à chaque fois de rencontrer son lectorat où que ce soit, qu’il était particulièrement touché, en l’occurrence que ce soit dans ce village, gardien de ses plus beaux souvenirs d’enfance.

Les démangeaisons de la cicatrisation, l’escagassant au plus haut point, ont poussé notre ami à se grafigner méthodiquement la couenne malgré l’interdiction que lui en a été faite, cette tâche blanche se développant au détriment de ce halage qui sied tant au bleu de ses yeux. Quotidiennement photographié sous le même angle il en résulte le projet d’un flipbook tiré à neuf exemplaires, autant que de participants, album souvenir de l’édition 2015 que bien des dermatologues souhaitant illustrer l’incidence de l’alcoolisme dans le monde des maladies de peau seraient prêts à s’arracher à prix d’or.

5 réponses à “Un Gramenon ? deux grammes oui !”

  1. dirpauillac écrit :

    Quand même.

  2. Toto écrit :

    Un très beau texte avec une magnifique chute

  3. jacfé écrit :

    D’abord, on n’a pas tout bu ce qui est sur la photo.
    Ensuite, il pleuvait.

  4. philippe écrit :

    On vieillit, on vieillit, il fut un temps où ces quelques magnums et malheureuses petites quilles n’auraient pas vu le bout du week-end.

  5. Bruno Scavo écrit :

    Grammage contrôlé…. Dérapage incontrôlé. Après ce récit poignant, haletant, on ne connait toujours pas les vainqueurs de la partie de pétanque 😉

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