Un dîner presque parfait

Lorsque Mimi m’a appelé pour me dire qu’à l’aide de sa carte bleue, il venait d’attraper une magnifique daurade coryphène congelée, j’ai tout de suite compris qu’il me sollicitait pour jouer les petites mains. J’ai sorti ma perruque blonde et pris la route de La Seyne sur Mer. La daurade coryphène en pâté, beaucoup pensent que cette recette est d’une facilité enfantine, il n’en est rien. Le temps de cuisson est très important, je dirais primordial, un quart d’heure manque et c’est la catastrophe, vous vous retrouvez avec une chair nacrée et délicate dont le goût tout en nuances s’accompagne d’arômes finement iodés, beaucoup trop subtils.

Pour éviter cette erreur de débutant, Mimi a un secret. Il prend pour unité de temps l’apéro qu’il subdivise en X bouteilles selon la taille du poisson. En l’occurrence, il considéra que celui-ci nous imposerait deux, voire trois bouteilles. Après une Bodice d’Hervé Villemade et une Bubulles des Jousset, il prit soin de piquer la chair afin d’en vérifier la fermeté. Sous la pointe du couteau, l’arête résistait toujours. Sage, il prit le parti d’assurer au mieux le succès de ce mets de roi en sortant Les Béguines de La Closerie. Une mise ancienne qui était à la mesure de l’instant : parfaite. Cette dépense somptuaire nous priverait du caviar et du foie gras, mais elle nous permettrait d’atteindre le temps de cuisson parfait.

Nous finissions juste cette troisième bouteille qu’il se levait en braillant « Oh! P….! la daurade ! » Il renversa délicatement chaises et table pour ouvrir dans l’urgence la porte du four. Et comme en ce moment, il préserve son bras gauche de tout effort en le maintenant dans le plâtre, il me jeta un torchon et cria : « Sors-la vite ! Sors-la vite! Elle va être trop cuite ! ». Optant pour la brûlure au deuxième degré, je repliai le torchon et me saisis du plat tout en poussant un cri violent qui exprima toute la tendresse que je vouais à mon ami.

Nul n’était besoin de se précipiter, la cuisson était parfaite. La daurade s’étiolait magnifiquement dans le plat, faisant avec les quelques légumes qui avaient survécu un amalgame flasque du plus bel effet. La chair avait acquis cette légère nuance marronnasse gage de saveurs exceptionnelles à venir. Et effectivement, la vue n’avait rien à envier au goût. En bouche c’était….hum! comment dire ?….les mots me manquent pour exprimer au plus près les sensations gustatives que m’a procuré cette merveille. J’hésite entre deux nuances très proches. Difficile un jeudi d’émettre un avis qui pourrait, mal interprété, être perçu comme une remarque à la limite de la désobligeance par le Raymond OLIVER de La Seyne. Il faut dire, à sa décharge, que mes doigts enduits de Biafine ont pu dénaturer la délicate palette des saveurs.

Catherine LANGEAIS-QUESNOT