Patrick Corbineau, l’huile essentielle


Le monde ne fabrique plus de Patrick Corbineau. Dans une tanière de pierre au-dessus de la Loire, le dernier des vignerons du village fait des vins naturellissimes sans se douter que Paris en boit. L’essentiel, c’est que ses voisins  aiment ça.



Candes-Saint-Martin sert souvent d’image pour les vins de Loire en campagne. Un chapelet de vieilles maisons bicolores qui bénit la rencontre de la Vienne et du grand fleuve, ça cause. Les ruelles pavées d’un des plus beaux villages de France s’usent à longueur d’été des bipattes sciés par tant de pierres ciselées. Mais ils ne vont jamais voir au-delà des ardoises. Là-haut, sur le toit des eaux, de rares rangs de vignes émergent de mers céréalières. Une enclave de quelques pieds défie plusieurs dizaines d’hectares de blé. On entend déjà la colère du gars lancé sur sa moissonneuse, contraint soudain à freiner puis manœuvrer pour esquiver ce petit bout qu’il n’a pas pu acheter. Ça sent la résistance… Patrick Corbineau en est animé. Pendant 18 ans, il s’est gardé d’échanger une parole avec son grand-père. Celui-là avait privilégié l’oncle dans le partage des vignes. « Un jour, il s’est posté devant moi, appuyé sur sa canne. Il disait qu’ils allaient tout arracher, qu’il fallait que je reprenne. Mais j’avais un métier, moi ! » Patrick y est allé. Il a lâché la Centrale Nucléaire où on murmure encore qu’il était le plus grand soudeur du pays. « C’était mon seul salut. J’y ai commencé pré apprenti parce que l’école ne voulait plus de moi, que je me sauvais pour aller aux vignes. » Et il y est retourné. « Mon grand-père avait promis de m’apprendre. Il est mort le jour où il devait me montrer comment on montait les vignes dans le Champigny. Il avait fait le commis là-bas. » Là-bas, c’est tout près d’ici. Patrick Corbineau n’y met guère les pieds. Ça lui laisse la tête au frais. Il n’est jamais allé non plus à Paris. Tant mieux, on risquerait de nous le polluer. Un Corbineau, ça doit rester dans son écrin, bien campé sur des certitudes que la vie est belle et les yeux écarquillés quand on lui dit qu’on peut faire autrement. Pour lui, « c’est comme ça et pis c’est tout ! »


Pourtant, il en a bavé. Les journées sont plus longues quand on avance tout seul dans les rangs et qu’on a décidé de ne pas succomber aux désherbants. « Le soir, quand je rentrais, je cochais les bouteilles vendues. Ça faisait pas l’équilibre. 600 la première année. Aïe. » Mais il avait conscience de faire bon. Les vignerons d’à côté raillaient l’herbe dans ses vignes : « ce sera jamais mûr ! » Puis ils passaient goûter à la cave pendant les vendanges, bien longtemps après les leurs, et Patrick prenait sa revanche. « Regarde, toi, combien ça pèse de degrés, j’ai pas mes lunettes. C’est 13,2 ou 13,3 ? » L’allumé du cru a du répondant dans les raisins. Et quand on le voit labourer au cheval, on descend de son tracteur bruyant qui balance du désherbant sur deux rangs pour admirer le boulot et même s’y essayer. « C’est joli mais ça avance pas ! » « Pas sûr, mon cheval, il peut aller à 6. Toi tu plafonnes à 4 et demi sur ta machine. » Patrick a aussi un tracteur. Un vieux Massey-Fergusson de 57. Il caresse ses pneus tout neufs. « Belle semelle. Avec ça, j’aurais pu m’acheter des pompes… en crocodile ! » Ça ne lui irait pas du tout. Il est tellement bien dans ses bottes… « Les voisins me disent qu’ils ne connaissent pas de bio riches. Tant mieux ! ça sert à quoi d’être riche ? entretenir des cabanes ? J’ai pas besoin d’avoir des maisons partout. On m’invite. » Et c’est lui qui fait voyager. Quand on a besoin d’un peu d’air pur, on vient débusquer Corbibi dans ses grottes. À la tombée du jour, on y entend le cri du cabernet. Les sirènes de la Loire… « Mon père me reproche d’être là plutôt qu’aux vignes. Il croit que je viens me verser des godets. Mais y a du boulot à la cave quand tu travailles comme ça. Lui, il aurait voulu qu’on avance. Et on recule. Mais moi, les calculs, je ne sais pas faire. Si j’ai tant d’hectolitres faut que je mette tant de produit… ça m’échappe. » Corbibi fait du vin avec du raisin et pis c’est tout. Seulement, il croit qu’il est en sucre (et y’en a). Il l’égrappe à la main dans de l’osier tressé, le fait macérer doucement, le presse gentiment. Et hop, c’est entonné, bondé, scellé de cire, surtout pas sulfité et « ça ne bouge pas. T’ouvre quatre ans plus tard, c’est du nectar… Ça donne envie de vivre. » Dans les boyaux de tuffeau, les vieux foudres noircis de moisi attendent leur heure. Celle où on viendra les laisser glisser dans une bouteille, sans pompe, sans heurt… En insistant un peu, il y pique quand même la pipette, te rempli ras ton verre à pied (quand t’es une fille, t’as plus de chance d’en avoir un pas cassé) et cherche dans ton regard si tu l’as compris. Quand tu t’envoles en compliments oeno-poètiques, il confirme. « Oui. Ça, avec des patates… » Et alors il va chercher une bouteille de 89. Une brassée de roses anciennes. Y en a des tonnes. Il vient seulement de se décider à les commercialiser. Parce que c’est pas facile de voir partir les bouteilles, parce qu’elles ont une histoire et parce que c’est très long à étiqueter à la main… Désormais, Patrick a les bras de sa petite sœur. Elle a attrapé la même maladie. Il faut qu’elle en vive aussi. Mais on dirait bien que les sirènes de Corbibi se font entendre outre-Loire et qu’on va avoir besoin d’elle…

(article à paraître dans Omni)

Touraine et Chinon de 10 à 20 €
4, rue de la Cour Dimière
37 500 Candes Saint-Martin
06 82 62 12 54

3 réponses à “Patrick Corbineau, l’huile essentielle”

  1. Tanguy écrit :

    Laissez moi des bouteilles, car ya que du mauvais à La Réunion, et pis c tou…

  2. Michael écrit :

    Super personnage Ce Monsieur Corbineau. Nous avons eu la chance de monter à la grotte,sur les conseils d’une patronnre d’auberge, après avoir gouter un vieux 90, après avoir pas mal cherché … Nous avons croisé un gros serpent sur la route ! Mais ca valait le détour. Je me délecte de ce nectar avec mes amisdepuis plusieurs semaines. Et dès qu’on en a plus, on y retourne.
    A bientot Monsieur Corbineau

  3. fournier écrit :

    Certes ce sont des grottes mais on ne monte pas à la grotte mais à la cave, hé oui, cela peut paraître saugrenu mais c’est ainsi. Moi, « la grotte », la cave, je la connais depuis toute petite étant donné que Corbibi, comme vous dites, est mon cher et tendre cousin adoré. Et je confirme, son vin, ce n’est que du bonheur (surtout son rosé, mon péché mignon car il est magnifique et super bon). Vivement que l’on y remonte à la cave, car cela me manque et mon Patrick aussi et surtout.

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