La goutte de crème qui a fait déborder la baratte.

L’étau se resserre, trois moins une égale deux. Si nous étions plus sages nous apprendrions dès maintenant à aimer ce goût si particulier, à apprécier sous la langue cette texture proche du gypse en poudre additionné de son volume en eau ou se délecter de cette palette de saveurs insipides et nous l’enseignerions à nos enfants afin de préparer les générations futures à oublier notre appétence naturelle pour les produits vrais. A quelques dizaines de centimètres près, souvent nous n’arrivons pas à en déceler la provenance. En est-ce vraiment ? Ou n’en sont-ce que les appâts rances ? Plus que deux fromageries productrices indépendantes de Camembert d’Appellation d’Origine Contrôlée. Dernière à sombrer dans le gouffre abyssal de la constellation Lactalis, Graindorge vient de rejoindre le cortège de celles qu’il va nous falloir rayer de nos listes de courses. Elle sera sans nul doute la perle que l’on expose dans la vitrine, celle qui permettra de continuer à vous faire avaler ces quelques 250000 rondelles blanchâtres quotidiennement produites, la caution indispensable en ces temps où les multinationales se refont des virginités à peu de frais.

Fromagerie Gillot

Fromagerie Gillot

Alors les Amis, là pour le coup c’est terminé. Jusqu’ici je m’étais obturé le clapoir, j’avais toléré sans rechigner le lait pasteurisé, la crème allégée, le beurre anti-cholestérol, le yaourt au biomachin rétro-actif, bon il est vrai que l’exercice était aisé, j’en mange pas. Pas par principe, non tout simplement tout petit j’ai été vacciné contre tous ces immondices. Marcelle, ma petite grand-mère chérie, la tête appuyée contre le flanc de la vache, dirigeant le jet d’une main experte, me faisait boire le lait au pis de la vache et je rapportais en courant à la maison dans ma petite timbale en alu cabossée ce lait entier qui serait mon petit-déjeuner du lendemain. Dans mon assiette une demi-louche d’une crème jaune et épaisse qu’elle saupoudrait d’un nuage de sucre pour m’en faire un dessert. Avec elle, debout sur un seau renversé, j’ai tourné à en perdre haleine les bras de l’écrémeuse et de la baratte. Mes papilles noyées dans le crémeux du beurre ont appris à se laisser apprivoiser par les grains de sel qui venaient exploser en bouche. Et quand il était question de fromage, ce ne pouvait être que du Camembert de la fromagerie Bourdon, produit à Barbery petit village proche, toujours fait à cœur à la croûte légèrement orangée, s’échappant dès qu’on l’avait entamé.

Fromagerie Mercier

Fromagerie Mercier

Tout ceci me rend triste et je crains que cette récente acquisition ne soit une fois de plus pour moi comme un signe, un encouragement à boire un peu plus. Ah! P… de M…! Mais ça c’est interdit, je ne devrais pas l’écrire, ce serait comme qui dirait une forme d’incitation à  l’excès. Boire quelques gorgées d’un pétillant naturel, d’une jolie bulle, c’est interdit car c’est de l’alcool et donc destructeur de vie, mais ingérer une parcelle d’un morceau de plâtre à base de lait pasteurisé réensemencé avec des ferments d’affinage, ça c’est bon. C’est ça? Ou j’aurais mal compris? Heureusement face à la malbouffe nous, citoyens, sommes protégés par nos élus vigilants et l’ensemble des organismes chargés de lutter contre ces dérives. Et si par le plus grand des hasards nous ne l’étions pas, peut-être serait-il judicieux que le consommateur prenne le pas sur le citoyen. Un véritable parti de « consommateurs » ne serait-il pas plus influent que le troupeau de veaux que nous sommes ??? Créer un « groupe » au fait des organigrammes économiques qui par ses lumières nous éclairerait et nous permettrait, non pas de lutter contre, mais tout simplement de boycotter telle ou telle marque peu « vertueuse ». Faire fluctuer à la marge , là où se situe souvent le bénéfice, en n’achetant plus les produits de telle ou telle société ou au contraire en achetant massivement telle autre, n’est-il pas le meilleur moyen de retrouver le pouvoir de consommer « proprement » que nous n’aurions jamais dû perdre. Alors les Amis, dès demain chez vos crémiers réclamez avec moi tous en chœur « On veut du Millot et du Gercier! On veut du Millot et du Gercier! » Ah Ooouais! Douze degrés quand même le Pèt’Nat. Faut toujours faire gaffe avec ces productions naturelles, on a un peu tendance à éxagérer, alors qu’avec l’industrielle on reste dans le raisonnable. Je suis entrain de dire une connerie là ???

*pot à lait, pour les non-normands

7 réponses à “La goutte de crème qui a fait déborder la baratte.”

  1. Michel de Lamarre écrit :

    Il reste aussi Réaux, la Fromagerie du Val d’Ay à Lessay dans la Manche.

    http://i.ebayimg.com/00/s/OTc1WDEwNjQ=/z/5iwAAOSwv0tVPAT8/$_35.JPG

  2. POYMIRO écrit :

    Ah le Champ secret ! Hummmmm…
    MP

  3. Régine Lorfeuvre Audabram écrit :

    Pour aller plus loin :
    Le camembert a fait la guerre de 14/18
    ”Parmi les fromages nationaux, le camembert va ravir la première place au fromage de Brie et il va dominer la consommation nationale de fromage, car ils devient le fromage des familles, il a fait la guerre 14/18, on l’associe au verre de vin. Et ce qui a largement contribué à son succès c’est son format et son emballage: il peut être vendu entier aux petits ménages.”
    in Claire Delfosse : https://geocarrefour.revues.org/2732
    L’Odeur du camembert
    ”L’odeur précède et participe à l’expérience du goût, et les odeurs, nous les reconnaissons bonnes ou mauvaises dès la toute petite enfance, lors de notre processus de socialisation. C’est la culture qui va gérer les préférences dans nos perceptions.
    Entre en scène le fromage : nous ne pensons pas son odeur comme fétide.
    Or, lors du débarquement en Normandie, il est arrivé que des groupes de soldats américains alertés par l’odeur, pensèrent trouver des corps en putréfaction dans des maisons abandonnées.
    Après vérification, il s’agissait de fromages, abandonnés dans les caves par les habitants ( des camemberts peut être ?)
    cette odeur était perçue comme la pire de toutes: celle de la mort. Mais pour la majorité des Français, il s’agit d’une odeur très appétissante. Ne disait-on pas, parmi les expatriés en Amérique ou en Asie, que la première chose que l’on ferait en rentrant au pays serait de manger du camembert arrosé d’un bon verre de vin rouge ?”
    in Annie Hubert. Anthropologue, Directeur de Recherche CNRS.
    – Le mangeur Ocha –
    http://www.lemangeur-ocha.com/entre-durian-et-fromages-des-odeurs-et-dune-meilleure-comprehension-des-autres-2/
    Le camembert mythe national de Pierre Boisard
    http://www.lemangeur-ocha.com/ouvrage/le-camembert-mythe-national/

  4. Vincent Wallard écrit :

    Elevé aussi à la crème, au lait tout chaud de la vache de la ferme en face de chez moi et au Camenbert fermier, je ne peux qu’acquiescer à ce constat de lente destruction du Patrimoine laitier Haut et Bas Normand.
    Il reste encore quelques indétronables lutteurs mais comme dans le cidre et le Calvados, la Teurgoule et les autres AOP fromagères, c’est peau de chagrin et Cie …
    Alors, achetons en priorité, voir uniquement pour les plus guerriers, les bons produits, ceux qui sont encore faits avec du lait entier de vaches élevées en herbage et dont on connaît l’agriculteur qui les crée …

  5. Pet bret écrit :

    J’aime beaucoup le camembert LEGRAND au lait cru de Camembert
    Ils résistent aux investisseurs Chinois.

  6. Isabel Ferran écrit :

    Mes beaux parents habitant à Saint Hilaire de Briouze, je me sens privilegié de pouvoir goûter le vrai Camembert dans l’Orne, mais attention, je les achète les vendredis en origine a 2.40€ car a Paris, chez monop c’est 4€ et rien à voir avec le goût d’origine dû aux volume d’achats…et surtout à la châine de froid à laquelle sont soumis les aliments… Marie Harel reste mon étiquette préferée

  7. philippe écrit :

    Chère Isabelle,
    Que diriez-vous alors des 5.50€ à 6.00€ que nous devons sortir ici, dans le Sud, pour avoir le privilège de goûter du médiocre ?

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