Archive pour mai 2018
Jesuboam
mardi 15 mai2018Laguiole de l’autre.
lundi 14 mai2018Était-ce le tressaillement de ma cuisse, mon grand couturier, ce muscle sublime assidument sculpté par la pratique intensive du tennis de table à haut niveau ? Le vibreur de mon téléphone ? Ou une manifestation inappropriée ? Deux petites notes étouffées, caractéristiques, éliminent ma première hypothèse, une rapide analyse en fait de même pour la troisième car même lorsque je m’agite frénétiquement, les sons que j’émets et aime toujours d’ailleurs, n’appartiennent pas à ce registre.
« 21h – Michel Bras – Toto »
Voilà qui valide mes supputations, pas d’ambiguïté possible et que l’on ne s’y trompe pas, ces quelques mots à l’allure sibylline mais d’une concision chirurgicale, étaient un pur message d’amitié, la pensée matinale d’un être attentionné, entièrement mobilisé, dont la volonté unique était le partage d’un immense bonheur à venir, une invitation à communier durant toute cette sainte journée, à l’accompagner jusqu’au pied de l’autel. Une incitation à tenir le voile pendant qu’il honorerait furtivement la mariée, n’oubliant pas de les agiter de concert afin que mon olfactif en profitât, une délicate attention.
Mais que ne ferait-on pour un ami ? Les amis c’est sacrĂ©, la rĂ©ussite d’une vie, tes souvenirs pour l’éternitĂ©, au terme tu les comptes autour de la boite, moins de quatre te condamnerait Ă une sortie ridicule. Il faut ĂŞtre attentionnĂ© et prĂ©venant avec ses amis. Pour eux je prends soin tout au long de l’annĂ©e de rester en permanence le nez au vent Ă la recherche de ce petit cadeau personnalisĂ© qui leur ira droit au cĹ“ur et leur rappellera combien ils sont importants Ă mes yeux.
Alors pour lui dire combien j’étais touché par tant de sollicitude, je lui répondais « Je t’em… ! » hésitant un instant à lui ouvrir les bras. Il voulut dissiper ce léger doute : « Tu m’embrasses ? » Pas le temps de lui confirmer mon attachement profond : « Tu m’encourages à me régaler ! »
Bien sûr que je t’encourage, si tu savais comme cela me fait plaisir de te savoir à Laguiole et moi à Grasse, couvert de poussière, ruisselant au fond de mon épicerie à pousser les chariots. Je suis ravi de sentir ton cœur à ce point chargé d’allégresse, tout ton être tendu vers ces instants de félicité gastronomique, de jouissance extatique, bienheureux béat. Alors en moi s’est posé la question de savoir comment participer à distance à cet événement, le magnifier, apporter modestement ma contribution à l’édification de ce mémorial culinaire, t’aider à le graver à jamais dans ta petite tête de piaf scrofuleux et mesquin.
« Ah Bernard, bonjour! J’aurais besoin de ton aide, que tu me rendes un petit service. Pourrais-tu tĂ©lĂ©phoner Ă ton ami Michel BRAS et lui demander s’il serait possible de … ?»
« Écoute, j’essaie de le joindre et je te tiens au courant! » Ce qui fut fait.
Vers 21h30 j’envoyais « Bon appĂ©tit ?» qui eut un « Whaouuuuuuuuuu ! » pour seul Ă©cho Ă minuit passĂ©. Cette simple interjection me faisait brutalement comprendre que mon plan avait Ă©chouĂ©. J’Ă©tais dĂ©pitĂ©. Comment Ă©tait-ce possible? Bernard est un homme fiable, je savais qu’il ne pouvait ĂŞtre Ă l’origine de cette faillite, il avait sollicitĂ© Ă coup sĂ»r l’aide de Sergio, le sommelier, et de la rĂ©ceptionniste.
Tant de plaisir et de joie mĂŞlĂ©s en un seul mot, alors que j’attendais tout autre chose. J’étais effondrĂ©.
Si tout avait bien fonctionnĂ©, Ă 21h prĂ©cises mon Ami accompagnĂ© de sa crĂ©ature de rĂŞve, se prĂ©sentait Ă la rĂ©ception du trois macarons, tout en ajustant ses boutons de manchettes en ivoire prohibĂ©, d’une voix suave et profonde, il s’annonçait « Bonsoir!.. J’ai rĂ©servĂ© une table pour deux au nom de TOLMER. » Et lĂ , NORMALEMENT, la rĂ©ceptionniste consultant son registre, de l’index exĂ©cutait plusieurs allers et retours en rĂ©pĂ©tant « Monsieur TOLMER, Monsieur TOLMER,……TOLMER avec un T comme dans TREMOL…. Quand avez-vous rĂ©servĂ©?….. » Elle tournait les pages par acquis de conscience puis elle s’arrĂŞtait soudain, blĂŞme et disait « Monsieur TOLMER! Mais oui, nous vous attendions jeudi dernier! » Elle appelait fĂ©brile « Monsieur Sergio! » Puis un peu plus fort parce que Monsieur Sergio n’aurait pas entendu. « Monsieur Sergio ! » C’est bien vous qui me disiez il y a tout juste une semaine « Quel dommage que ce Monsieur TOLMER ne soit pas venu! Sur recommandation de M. PLAGEOLES, Monsieur BRAS avait Ă©laborĂ© un menu tout spĂ©cialement Ă votre intention! Votre venue Ă©tait chaleureusement attendue… Et lĂ , quelle dĂ©veine ! Nous sommes complets…. Je ne vois vraiment pas comment nous pourrions faire?» Et Monsieur Sergio de renchĂ©rir « ! Vous jouez vraiment de malchance Monsieur TOLMER. La 5, une de nos plus belles tables, dont la rĂ©servation a Ă©tĂ© annulĂ©e en dĂ©but de soirĂ©e, nous venons de l’attribuer il n’y a pas cinq minutes Ă un couple de petits commerçants Grassois. »
Le plan que j’avais échafaudé n’avait pas fonctionné, le dernier rouage en était la cause. Au dernier moment notre réceptionniste avait craqué, trop jeune pour mentir sans avoir le sentiment de faillir.
Quel dommage, j’aurais tellement aimĂ© que cette soirĂ©e soit inoubliable !
Nouvelle extraite de « Vingt en Vrac » aux Éditions de l’Épure.
https://www.epure-editions.com/collection-mise-en-appetit/vingt-en-vrac-195-45.html