Mimi, deux ans de confinement strictement respectés.

Bon, cela se confirme, le dépôt de bilan de ton blanchisseur nous l’avait rappelé, nous allons boucler une deuxième année sans toi et ton état de santé ne s’améliorant pas vraiment, je crains que tu ne reviennes plus désormais ou alors faudrait que la médecine fasse de sérieux progrès. Nous allons devoir nous y faire.

Tu m’as laissé au milieu du gué, un peu perdu avec ces leçons de vie issues de nos virées, restées sans suite, inabouties, saurai-je en tirer les précieux enseignements et les mettre à profit dans mon quotidien de mangeur-buveur ?

Car peu de gens se rendent compte, même deux ans plus tard, à quel point tu auras marqué de ton empreinte ce vingt et unième siècle naissant. Tes champs d’intervention étaient à ce point vastes qu’il sera bien difficile aux générations futures de faire la part des choses, démêler le vrai du faux, démasquer les usurpateurs et justement te réattribuer tes contributions, tant tes actions touchaient de domaines. J’aimerais modestement contribuer à en établir l’amorce d’un inventaire qui pourrait par des apports extérieurs tendre à dessiner les contours d’une personnalité à facettes multiples.

Dans le domaine de l’art, dire que tu serais l’inventeur du « tachisme » serait exagéré mais il est incontestable et nous le retrouvons dans sa correspondance, c’est après un voyage dans le Sud de la France et t’avoir rencontré dans un restaurant de fruits de mer où il était attablé à côté de toi que Jackson Pollock aurait eu le déclic, son univers pictural basculant irrémédiablement. Ce procédé naturel, tu le réutiliseras à Moulin Pey Labrie, ton boxer albinos somnolant sous la table bénéficiant tout un après-midi des fonds de verre que tu ne voulais plus boire, tu les lui as projetés méthodiquement sur le pelage. En fin de journée, une Å“uvre d’art nous est apparue. Tu venais de jeter les bases de l’art cyno-cinétique. Cette totale expertise, Glougueule en recherche permanente de talents en devenir, voulait l’exploiter. Ainsi naquit le projet d’une collaboration avec la création du ticheurte pré-bougnetté, chaque semaine nous t’aurions fourni en XXXL, cette taille qui seyait tant à ton petit corps, un par repas, à la fin du mois on en balançait une centaine sur le marché et ç’eut été le D’Jackpot ! Les gastronomes, amateurs d’art, avaient leur Ready Made.

Que dire aussi de ta méthode de dressage longuement mise au point à travers les générations de Boxer que tu as élevées et qui pourrait se résumer à : Suite à série d’injonctions précises énoncées clairement, le chien cesse toute activité, marque l’arrêt, enregistre l’ordre, regarde l’être qui lui a adressé la parole et ordinairement reprend sa besogne consistant à faire ce que la raideur de notre colonne vertébrale nous interdit. Il suffira souvent de quelques dizaines de séances pour que le chien, analysant son comportement lamentable, prenne conscience de son attitude déplorable et comme pour se faire pardonner gratifie son maître d’un nettoyage en profondeur de la devanture à grands coups de langue. La mise à niveau en continu est impérative, sinon les acquis se perdent.


La sculpture, ton domaine, où il fut question un temps, suite à l’exposition d’une de tes œuvres, d’ajouter un 119ème élément à la Table de Mendeleïev, la critique ébahie incapable d’appréhender la nature du matériau que tu avais utilisé, toi non plus d’ailleurs. La brève enquête menée dans et aux alentours de ton atelier n’ayant pu apporter plus de précisions, il fut décidé de n’en rien dire, les experts échappant ainsi à la risée du public. Ton art de la performance n’admettait aucune contrainte, ne connaissait pas de limite. Rappelons que tu es le seul à ce jour à avoir provoqué en combat très singulier un bateau à la frontière entre mer et terre, au bout d’un quai, opposant à la puissance dévastatrice de son beaupré démesuré la seule résistance de la vitre arrière de ta voiture. Constat à l’amiable fut établi afin de fixer cette action chevaleresque. Les Surréalistes t’auraient applaudi.

Pour aborder un des sujets qui nous intéressaient, la cuisine, qui n’a pas assisté à la préparation de ta Bouillabaisse ne peut imaginer la complexité de cette recette, la variété des poissons, certains ne pouvant, selon toi, s’attraper qu’à la carte bleue, leur ordre d’entrée dans la danse, défini par leur durée de cuisson. Tout ceci n’importe quel livre de recettes méditerranéennes vous le dira mais le secret serait leur prise de contact avec le bouillon. Distance, puissance, les impératifs à respecter. Munis de cirés, nous sommes quelques-uns à t’avoir assisté lors de cette phase périlleuse, te fournissant en poissons que tu lançais avec une précision aussi approximative que métronomique dans l’immense faitout, projetant sur les murs alentours l’excédent de bouillon. Même approche pour les calamars, les supions et toute cette bande d’encornets, bien des parois de maisons amies en gardent éternellement la trace. Cette dernière technique de cuisson dénommée « Wok in pro-graisse Â» en raison de l’utilisation de cet ustensile de cuisine ou de tout autre capable d’arroser les surfaces alentours. Et cette idée géniale d’utiliser le gras de jambon comme voile protecteur des verres de lunettes. Est-ce Boussac ou Afflelou qui y ont pensé ? Hé ben non, là encore c’est notre Mimi.

La cendre, adjuvant indispensable de toute éternité pour l’obtention de lessives d’une parfaite blancheur. Génial, tu l’as intégrée bien en amont, n’oubliant jamais d’utiliser la qualité dissolvante de l’alcool distillé pour apprêter le tissu. Cette étude sur le long cours a fait l’objet de nombreuses investigations comparatives chapeautée par un haut comité scientifique réuni sur ta terrasse. Question liquide, on peut dire sans crainte d’être contredit que tu as été le maître-étalon de la volatile, capable sans sourciller d’ingurgiter des potions labellisées « intorchables Â» par tout autre mortel. Seul un certain Ledoux, sous couvert de nous faire accéder au Nirvana des vins nature nous avait attirés au fin fond de sa campagne pour nous faire gouter une extraordinaire cuvée dont il avait raflé les dernières bouteilles chez le vigneron. La description qu’il nous avait faite du nectar avait suffi à nous convaincre de faire le voyage. Alors qu’il tombait en pâmoison, nous inondant d’adjectifs plus superlatifs les uns que les autres, je t’invoquais Mimi et croyais à une mauvaise blague dont tu aurais été l’initiateur.

Quelle tristesse que tu ne sois plus là, j’aurais eu plaisir à te le présenter, vous fussiez devenus amis illico.

2 réponses à “Mimi, deux ans de confinement strictement respectés.”

  1. Daniel écrit :

    Tous les jours ou presque j’ai la chance de passer devant une sculpture de Mimi que je trouve toujours aussi belle et évocatrice. Ton témoignage nous le montre tel qu’ne lui-même: un bel Humain!!!

  2. Françoise ANTONIN écrit :

    Je crois que la dernière expo de Mimi a été dans notre parc, à l’Auberge du Cèdre, les grandes demoiselles trônant au milieu des terrasses pleines de soleil, et clignant de l’oeil aux gastronomes éblouis… Bon-vivance, rires, technique et ce regard malicieux, nous sommes heureux de t’avoir rencontré Mimi ! Françoise

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