Etoile rouge

S’il y a bien un truc que déteste mon associé, c’est que j’en fasse moins que lui et il faut reconnaitre que depuis ma déconnexion définitive du monde du travail en mars 2017, je n’en secoue pas lourd, le prunier est intact, nulle trace sur l’écorce. Alors pour me relancer, il lui arrive de me jeter sous le nez un appât, comme ça pour voir. Sa précédente tentative je m’en gausse encore. Cette photo en d’autres temps m’aurait fait choir du hamac, au milieu d’une grande assiette blanche trônait un rogaton de je ne sais quoi, couronné d’une miséreuse feuille d’un végétal anonyme et pour occuper le désert de porcelaine qui menait de cette ridicule bouchée au bord de l’assiette le cuisinier avait dessiné le plan d’évacuation d’un trait de balsamique qui me rappelait fortement mon défunt chat malade. Insuffisant pour que je retourne au turbin, la sieste perpétuelle retenait encore toute mon attention.

Avec son dernier essai le bougre s’est montré plus malin, « exception n’est pas coutume » dit le proverbe Berbère. Au cours d’une conversation téléphonique il me glisse en tout bien tout donneur le conseil d’illico pesto filer chez mon libraire me procurer la B.D. collective « On a mangé sur une île », m’assurant que je saurai y trouver matière à plaisir et réflexion profonde, qu’il y est question d’amis dessinateurs narrant par le menu l’histoire de ce restaurant mythique, aujourd’hui disparu et tant pleuré, un étoilé Michelin atypique tenu par un couple dont les idées politiques étaient jusqu’ici assez peu représentées dans le milieu. « Les Tonnelles » c’eût pu être tout aussi bien « Bâbord Toute ! » ou « L’Etoile Rouge ».

L’île de Béhuard, les Tonnelles, Catherine et Gérard, les soirées de la Dive où tu pleures la première fois parce que tu ne sais pas qu’il faut réserver et tu finis dans un restau quelconque du centre d’Angers. Les années suivantes moins benêt tu es du nombre et doucement démarre une histoire d’amitié que la faible fréquence installe dans le temps long. 2007, La Loire en crue, tout comme nous au petit matin, notre déambulation le long du fleuve, Gégé au retour du marché, les huîtres sur la terrasse ensoleillée, puis un Clos Rougeard 2005 sur le fruit, un deuxième pour vérifier. One more time Eugène !

En 2014 à Angers cette fois, les mêmes à peu de chose près, ça s’appelle Une île et on refait tourner le manège, pas besoin d’agiter la queue du singe. Et les ris de veau de Gérard. P…. ! J’allais les oublier les ris de veau. Mon D… quel souvenir ! Les fins de soirée, lorsque fourbu il vient nous rejoindre pour un solo de gamay et qu’en chÅ“ur on dégomme une dernière bouteille que Catherine a judicieusement sélectionnée pour sa fraicheur nocturne, fin de session chez « Red Note », chacun range son instrument plus ou moins dans son étui ou pas loin. Il y a Gégé mais il y a aussi et surtout Catherine, la Reine de l’accord mets et vin irréprochable, toujours dans le tempo du moment, la colonne vertébrale de l’établissement, reine et régente, tout à la fois.

C’est page 76 que j’ai trouvé le « ce, du comment du pourquoi » Toto m’en avait fortement recommandé la lecture, cette case trônait au milieu du stripe : « Et l’esthétisme d’une assiette, c’est important demande Camille Jourdy, l’autrice de cet épisode. Et là Mon Gégé keskidi ? Hein ! Keskidi ? : « Ah moi je dis toujours « Notre objectif, il est pas là, c’est une dérive de la cuisine, tu balances trois fleurs et tout le monde dit « Waou ! » Pfff ! Ça m’agace. »

Non, mon Gégé, pas tout le monde. Moi aussi ça m’agace, et agacer est un euphémisme à bas coût pour exprimer la rage qui me monte au ciboulot et m’enfume le cervelet lorsqu’un serveur dépose devant moi une ration de station thermale enluminée de pétales pour masquer l’indigence de l’assiette. P…. ! Ça me rend fou, j’ai l’injure au garde à vous, en attente à la commissure des lèvres. Rien à voir avec chez vous. Parce que quand tu sors de table chez les Bossé, c’est uniquement guidé par ce sentiment ténu qui te rappelle qu’il est bien tard, que tes dernières analyses sont très moyennes, que nos amis sont certainement fatigués, et pas pour te précipiter sur le premier casse-dalle venu comme cela t’arrive parfois tant les portions étaient congrues. Dommage qu’Angers soit si loin.

Récemment Catherine et Gérard ont donné un gros coup de gouvernail, le 9 Rue Max Richard est devenu tout à la fois une table d’hôtes, presqu’une cave, presqu’une épicerie, presqu’une galerie, enfin une presqu’île quoi. Nous réservons dès maintenant une table pour la soirée précédant La Dive 2020. Catherine tu notes, s’il te plaît ?
Presqu’île – 6 Rue Max Richard – 49100 Angers – Tél 02 41 19 14 48

Il est trop tard pour tutoyer la gastronomie étoilée des Bossé, mais vous pouvez la retrouver et prolonger ces instants à travers la B.D. éditée chez Delcourt sous les crayons d’une huitaine de dessinateurs et trices, Zeina Abirached, Baru, Fred Bernard, Claire Braud, Etienne Davodeau, Camille Jourdy, Philippe Leduc et Tanquerelle, pour un prix inférieur à 20€. Donc…………..

4 réponses à “Etoile rouge”

  1. bossé Bossé écrit :

    Quesnot, je t’aime …

  2. philippe écrit :

    Gérard, en dehors de ma fiancée, la dernière qui m’ait dit ça avait une moustache moins fournie que la tienne mais n’avait pas le tiers du quart de tes talents………….culinaires. Pour le reste, mon investigation en restera là, je crois me souvenir que la bougresse avait l’esprit d’entreprise chevillé à mon corps.

  3. Toto écrit :

    Et moi Gérard, tu m’aimes pas ? Pourtant si tu savais à quoi ressemblait le texte de Quesnot avant que je le relise et le corrige, tu relativiserais un peu ton enthousiasme. Philippe a certes parfois une idée amusante ou une tournure cocasse, mais c’est ni fait, ni à faire, pas construit, plein de maladresses, on peut même dire bâclé. Ça ne me dérange pas de tout reprendre derrière lui, mais quand je le vois faire le kakou alors que je sais le torchon qu’était son texte au départ, excuse-moi, Quesnot c’est pas Modiano. Un peu de modestie !

  4. philippe écrit :

    Alors là mon Gégé on rentre dans le dur, ne voilà t’y pas mon amnésique qui, pour avoir ajouté une virgule ici ou là comme dans tant d’autres lieux inavouables, se prend pour Pivot, oubliant l’ignoble goût de la fange de laquelle je l’ai extrait, la morsure dans sa chair de cet anneau de métal qui le destinait à une vie d’éternel reclus, l’odeur putride de cette grotte enfumée où il croupissait, tout occupé qu’il était à mettre en couleurs les croquis que ses congénères hirsutes, vêtus de peaux d’ours mal tannées, avaient ébauchés. Il y a des images qui restent, tu étais tellement mignon mon Toto, tout frêle dans ta peau de lapin.

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