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Objectif Lune.

philippe 10 juin 2020 3 comments
Équipé pour la conquête de l'Est

1969 Année Hérétique.

Y poser le pied, telle était l’ambition affichée par la NASA. La petitesse d’esprit ! Quel manque d’envergure ! Sans l’avoir jamais parcourue, moi je la connaissais, je savais tout d’elle, de ses contours émouvants, de sa délicate géographie, imaginant sa partie la plus intime grâce à une iconographie empruntée sur la pointe des pieds au rayon dédié du marchand de journaux. Nuitamment je la célébrais. Sous mon chapiteau improvisé j’en avais dressé d’une main mal assurée de nombreuses cartes détaillées et mis en place un programme d’études ambitieux où la témérité des options techniques retenues pallierait le manque de crédit.

La question du Module Lunaire et plus spécifiquement son mode de propulsion y apparaissait sans objet, absolument vierge de tout usage, les batteries seraient à pleine charge. Le plan de vol était intentionnellement élémentaire, pas question de passer par une phase d’approche via une orbite elliptique aussi inutile que chronophage, mes calculs confirmaient l’option rectiligne, pas de préliminaire, à ce point certain de mon fait qu’aucune correction de trajectoire n’était planifiée. Il n’en était pas de même pour l’approche finale et l’alunissage, j’avais compulsé bon nombre d’ouvrages spécialisés, mais un grand flou subsistait quant à cette phase ultime, souvent évoquée comme un grand mystère.

J’avais dix-sept ans et me sentais très en retard sur le programme habituel des garçons de mon âge. Il arrive un moment où la théorie ne suffit plus, elle doit laisser le pas à la pratique. Peu importaient mes connaissances et la somme de travaux produits, je devais passer à l’action. Les ingénieurs de la NASA ne s’y trompaient pas, qui avaient vu en juillet une fenêtre de tir idéale. D’ici là je devais recruter, sélectionner et retenir celle des filles de mon village qui serait la première spationaute française.
Dès mes dix-douze ans, j’avais inscrit la fille du boucher sur mes tablettes, je nous avais imaginés sillonnant l’espace infini. La température n’excédant jamais les quatre degrés requis, j’aurais carrelé le sol de la navette et répandu quelques poignées de sciure afin qu’elle ne soit pas dépaysée durant notre éternel voyage. Malheureusement je n’ai jamais pu lui exposer mon projet, surveillée en permanence par une mère faisant office de cerbère et un père dont la stature colossale suffisait à me dissuader de toute prise de contact, même furtive.

Pour les autres candidates, je ne sais où j’ai péché ? Le manque de clarté dans la communication ? Ces petits mouvements de bassin pendant l’exposé ? Toujours est-il que courant mai, j’ai compris que le succès de mon entreprise passerait par une délocalisation, je n’avais suscité aucune vocation dans le bourg, seule ma connaissance de la topographie lunaire avait progressé grâce à la poursuite de mes travaux nocturnes.

Une opportunité s’offrit enfin lorsqu’une amie souhaitant rejoindre son amoureux en Tchécoslovaquie me proposa de l’accompagner. Fin des années 60, USA et URSS se livraient une guerre sans merci pour la conquête spatiale, tellement occupés à se surveiller qu’ils ne prendraient garde à ce petit français venu de nulle part. Et si durant ce bel été 1969, déjouant tous les pronostics, l’érection de notre drapeau français sur le sol lunaire se retrouvait à la Une de la presse mondiale grâce à l’ingéniosité et l’opiniâtreté d’un jeune chercheur normand ? J’intégrais discrètement un camp de travail en Moravie où nous posions pour la plus grande gloire du Parti Communiste Tchécoslovaque des bordures de trottoir en granit entre deux villages de montagne.
Woodstock était dans l’air du temps, 68 encore tout proche. « Don, partage et amour, mes sœurs ! Aimons-nous sans entrave ! » J’avais les éléments de langage. Deux semaines d’un intense lobbying autour des feux de camp et des soirées guitare n’y suffirent pas, aucune volontaire, zéro décollage.

Dans la nuit du 21 juillet, humiliation suprême, sur le seul écran de télévision du village j’assistais en direct à ma défaite dans cette course impitoyable. Les Américains foulaient de leurs pieds immondes l’objet de mon culte.

Sur la route du retour je m’arrêtai à Brno, où pour me remercier, une spationaute suédoise à qui j’avais prêté un prototype de casque mou en feutre me proposa de l’accompagner sur son pas de tir. Échafauder un plan de vol précis dans son bureau d’études, peinard sous ses draps, est une chose, mais improviser au débotté avec de nouveaux paramètres, dans une langue étrangère, nécessite une présence d’esprit qui me fit défaut. Pourtant mise à feu et décollage se déroulèrent sans encombre, c’est lors de la phase ultime d’approche que je perdis le contrôle de ma navette. Émotion et précipitation de novice. Par chance, il ne s’agissait pas là d’un vol inaugural pour ma partenaire. Elle fit preuve de patience dans les manœuvres et guida mon module de si parfaite manière qu’à la fin je pratiquai un alunissage dont elle me félicita ardemment dans sa langue natale.

Aboutir après tant d’années de recherche, de mise à l’épreuve, de doute et d’échecs, prouvait une fois de plus qu’un travail mené avec passion et obstination finit toujours par être récompensé.

Seul regret, la discrétion imposée par la bienséance, ne pas pouvoir le clamer, le crier sur les toits et surtout à travers les rues de mon village.

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philippe

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Afin d'accéder à l'aristocratie épicière, Philippe QUESNOT, alias PQ, suivra des études de grouillot en architecture et béton armé durant environ une quatorzaine d'années entre Paris, Evreux et Nice. Se sentant mûr pour se lancer dans la carrière qu'il a toujours voulu embrasser, il décide de créer, en partenariat avec un de ses anciens collègues, un complexe épicier qui tiendra à la fois du bazar, du foutoir et surtout dans 70m². Ce n'est que sur le tard, après sa rencontre avec Sylvie AUGEREAU et Michel TOLMER qu'il participera à cette magnifique aventure qu'est GLOUGUEULE. Dans un premier temps pressenti pour le Nobel de la Paix, il lui sera préféré qui vous savez. Le consortium tentaculaire de l'industrie du rire ne lui a toujours pas pardonné sa liberté de ton, souvent sarcastique et surtout la subtile alchimie de son humour si fin et léger qu'il sait si facilement mettre en œuvre pour notre plus grand bonheur.

3 comments

  1. pascal

    L’étoffe d’un héros !!! déjà !!!

  2. Numa

    Très finement raconté !

  3. Compliment que je mesure à sa juste valeur venant de l’un des deux scénaristes qui accompagnèrent ma très brève carrière de dessinateur de BD. Pas assez brève, diront certains. Arf ! Je crains qu’ils n’aient raison. Merci Numa.

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