Chacun cherche son Chave

Boire du Chave à Venise et mourir. Le nirvana vinique tient à ses Hermitages mais le domaine mythique se nourrit seulement de l’humilité d’une famille. Pour vinifier heureux, vinifions cachés.

Ah les beaux coteaux du Rhône d’en haut ! Perchés comme des Hollywood, les noms des grandes maisons s’accrochent à l’adulée colline d’Hermitage. 130 hectares que le monde entier nous envie. Gérard et Jean-Louis Chave en ont un dixième. Ils n’y ont pas affiché leurs cinq lettres. Pour entrer en Chave, il faut prier, franchir le barrage de la patiente secrétaire qui passe son temps à excuser le patron trop sollicité et bien se rappeler du numéro dans la rue quand on a l’accréditation. (Moi, c’est fait, je peux raccrocher mon tablier.) Façade anonyme, petite caméra, sonnette, tremblement. La porte baille. Cartons, palettes, apaisement. Une vraie cour de vigneron. Même qu’il est encore au boulot et qu’on le surprend en petit tenue traditionnelle : polaire et chaussures de marche. Voilà Jean-Louis Chave tout entier, posé là, sans chronomètre ni portable pour brouiller les ondes. Le fluide, l’évidence, la limpidité qu’on avait goûtés et qu’il suffit maintenant d’écouter. Il tend le verre et amorce la descente au vin, sous terre, dans l’ombre pour en boire la lumière. Silence, Hermitage parle. On entend juste derrière la voix de son père, venu faire un tour de terroir avec le maire. Le fils pique la pipette dans les murs de barriques muettes. Couvercles immaculés. Le bois ne dit pas d’où il vient ni ce qu’il contient. Et le bois ne marque pas les pierres. Jean-Louis Chave sait leur place. Il la laisse à chacune. Argiles, silices, loess, pouding, granites vivent leur élevage en solitaire jusqu’à l’assemblage unitaire. « On construit le vin dans les fûts. On poursuit en foudre (plus grands volumes de bois) pour affiner les tanins s’ils en ont besoin. » Pas plus compliqué que ça. Au final, une cuvée de blanc et une cuvée de rouge dont on aura écarté « ce qui ne va pas ». Rien que ça. «  Mais on est Hermitage avant d’être Chave. Le vigneron fait partie d’une histoire. Il interprète un terroir et une origine selon des usages loyaux, locaux et constants. Autrefois, on ne parlait pas de qualité, mais de fidélité. » Le fin mot de l’appellation. Jean-Louis Chave était président de la sienne. Il avoue ne plus croire au système. « Plus la peine de se battre, tout est déjà joué. Mieux vaut cultiver son jardin. » Et la culture, même si c’est dur, reste la base du sien. « Le grand vin, c’est probablement celui du vigneron pauvre sur un petit terroir mais c’est aussi celui du vigneron riche parce qu’il peut se permettre de le valoriser. On fait un tel travail dans le vignoble que si on pouvait s’en passer, je le ferai pour épargner les gens. Ce qui ne serait pas juste, c’est qu’on ne pioche pas alors qu’on en a les moyens. Bien sûr qu’il faut être bio dehors, évidemment qu’il faut être naturel en cave. » La pipette égraine les jus non sulfités.chave Mais Jean-Louis Chave fuit le catalogue. « Ça me touche parce que je le vis. Je me surprends à apprécier des vins dans lesquels je reconnais des défauts, probablement par réaction à la standardisation. Mais je ne pourrais pas les livrer. Pour laisser faire, il faut un gros travail, une surveillance assidue, un contrôle absolu. Même si nous sommes proches du « sans-soufre », on s’en écarte pour rester fidèle au terroir. La question n’est pas « qui fait des vins natures ? » Mais « qui fait des vins vrais par rapport à une origine ? » » La maison réajuste gentiment à la mise en bouteille parce que la concentration et les élevages longs n’en demandent pas tant. « Nous sommes responsables du devenir du vin. La vérité est dans les vieilles bouteilles. » Et l’avenir dans la minéralité. « Sur cinquante ans, on a eu des moyennes de degrés autour de 12,5. Désormais c’est 14. Il n’y a que la minéralité qui tiendra le vin face au réchauffement. Même les Américains nous ramènent à ça, ils se lassent des grosses structures. On arrive sur des vins de cracheurs, nous aspirons à des vins de buveurs. C’est probablement aussi pour cela que le vin a du mal à s’accrocher à la cuisine. » Les Chaves côtoient les toques depuis des générations. Jean-Louis devine une scission. «  Mon père a connu l’époque des cuisiniers fascinés par le vin. Les deux sont montés en même temps mais aujourd’hui, il y a décalage. S’il n’y a pas le dialogue à table entre les mets et le vin, on en est réduits à faire des vins de dégustation. » Le grand vigneron d’Hermitage se dit seulement interprète et imagine le cuisinier créateur. La terre ramène à l’humilité. Mieux vaut la toucher.

Une réponse à “Chacun cherche son Chave”

  1. Jacques Perrin écrit :

    Très bel article, bravo, limpide, juste… « Entrer en Chave… », la formule est belle. J’ai publié également quelques articles sur ce grand modeste : http://blog.cavesa.ch/index.php/2009/01/25/173561-jean-louis-chave-des-racines-et-des-reves

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