La Mercos’ à Dadd’

Les tempes cendrées, le cheveu rare, un léger relâchement de la sangle abdominale, le geste à peine plus lent, font souvent oublier aux jeunes que nous aussi, à notre époque, nous étions de sacrés rebelles qui se permettaient de parler à table sans y être invités, qui disaient « vachement Â» à tout bout de champ, rappelant à leurs parents que le temps de « bath Â» avait disparu avec les dinosaures du musette. Nous avons eu les cheveux longs et gras, des jean’s moulants avec des feux de plancher, des chemises fleuries et  « Woodstock Â» était notre référence absolue en terme de musique…Mais passons à une époque un peu plus récente : début des années 2000.

Ce jour-là Frankie avait emprunté la rutilante Mercedes de son père qui lui avait recommandé d’y faire plus qu’attention en des termes qui ne laissaient aucune équivoque. J’avais bien une poubelle ambulante, mais aurait-elle accepté de nous porter jusqu’à Ampuis et son Salon de la Côte Rotie?

L’aller fut à l’image des recommandations du père. Pas d’excès.

Comme c’était sur la route, nous avions pris rendez-vous chez Hervé et Isabelle Souhaut du Domaine Romaneaux Destezet pour y* déguster leurs vins. Fallait-il y voir un présage? Nous y retrouvâmes Cyril Bordarier et Pierre Aimé. La ferme fortifiée d’Hervé à Arlebosc, la dégustation des rouges et de son deuxième millésime de blanc, le froid hivernal, la vue superbe sur la vallée, cet énorme bloc de granit qui sert de table à l’entrée et sur lequel nous avons bu une Mémé 90 et un chenin 99 de Poirel. Emmitouflés, le corps au chaud et le nez dans le verre. On aurait dû se méfier, cela démarrait trop bien.

Nous étions en janvier, période particulièrement néfaste à la gente porcine. Quelques jours auparavant, un de ses représentants s’était jeté sur la lame aiguisée d’un membre de la famille Souhaut. Embarrassés par la situation et afin d’éviter tout tracas avec la police, ils transformèrent le suicidé en boudins, saucisses et autres dérivés délectables. Il nous fut gentiment demandé de participer à la veillée funèbre. Rapidement nous avons compris que le disparu devait occuper une position hiérarchique importante tant les bouteilles qui accompagnaient les larmes étaient nombreuses et de toutes régions.

La vérité, je ne sais plus si nous dormîmes sur place ou bien?.. Toujours est-il que nous constatâmes que nous avions avec le couple de parisiens un deuxième rendez-vous commun, à Tupins-Semons chez Jean-Michel Stéphan, à une heure quelque peu identique. Chez Jean-Michel, seule la taille est petite car pour ce qui est du reste, le bonhomme a de la ressource et du talent. Il nous fit déguster l’ensemble des barriques avant de nous emmener manger pas loin de là dans un lieu où il souhaitait nous faire déguster une large palette de Cornas. A ce stade-là, j’avais déjà la jauge au maximum.

Une fois terminé le tour de France des Cornas, Jean-Michel dit : « Il me semble qu’il y a des barriques que vous n’avez pas goûtées, celles du fond ! Allez on y retourne ! Â» Tous les cinq dans la Mercedes, c’était Goran Brégovic en vallée du Rhône, manquaient que quelques unités du sexe opposé et encore. Ce n’était pas vraiment le but de l’excursion et puis surtout on voulait une bonne ambiance, alors…. Les deux kilomètres qui nous séparaient du restaurant parcourus, Frankie mit au point mort et laissa la Mercedes grimper la petite pente sur son élan pour aller se garer tout près du poteau en ciment.

A peine immobilisés,  les portières s’ouvrirent, ne laissant malheureusement à Frankie pas suffisamment de temps pour consulter le manuel d’utilisation et d’y trouver à la rubrique « frein de parking Â» que celui de la Mercedes se situe à côté de la pédale d’embrayage et non entre les deux sièges comme il essayait désespérément de l’y trouver.

Il est remarquable de constater comme le bruit d’une portière qui se retourne au contact d’un poteau en béton armé a la faculté de dégriser dans l’instant tous les membres d’une assemblée de joyeux camarades. Les éthylomètres perso furent remis à zéro. Pas une vanne, pas un jeu de mots, rien. Normal aussi, quand on voit 130kg d’amitié très, très Ã©nervée, cette réaction d’éviter les phrases alambiquées et les mots inutiles. Notre ami sortit lentement, fit le tour, constata les dégâts, essaya de refermer la portière, d’abord doucement ensuite fermement puis en force. Face à l’échec, il se recula d’à peine un mètre et soudainement mit un violent coup de pompe qui laissa son empreinte dans le métal mais eut le mérite d’obstruer la béance.

Un rouleau de bon vieux scotch marron à large bande et deux mètres de corde plus tard, la réparation faisait illusion. « Dadd’ Â» n’y verrait que du feu. Pendant cinq minutes les pensées furent au recueillement puis Jean-Michel lança : « Bon on y goûte ? Â» On y goûta et y goûtûmes, je me souviens très bien que Monsieur Stéphan père faisait de délicieux jus d’abricot et qu’il y avait quelque part dans la cave une ou deux barriques d’eau de feu qu’ils y goûturent, qu’à une heure que nous définirons comme avancée, Frankie et moi fîmes une certaine distance pour trouver un lieu où mettre nos petits corps dans une position horizontale plus appropriée à notre état.

Je vins en aide à mon ami quand le digicode de l’hôtel voulut jouer avec lui à « Questions pour un pochetron Â» lui posant de perfides questions, tel le numéro de son département et celui de sa carte bleue, que je garde désormais précieusement. Vers midi, après avoir décollé nos yeux à l’eau chaude, nous avons pu nous rendre compte, aux trainées marronnasses qui couraient de leur voiture au bâtiment, que Cyril et Pierre étaient bien rentrés eux aussi et avaient pu atteindre sans trop de dommage l’un la porte d’entrée de l’hôtel, l’autre, quant à lui, nous laissa perplexe quant à sa destination finale, le trajet étant marqué de preuves d’hésitations multiples et certainement soudaines à en juger par les jolis dessins que l’on aurait dit exécutés au pochoir à vomi.

Les premières heures du lendemain matin furent occupées à chercher un carrossier qui accepterait de prendre la voiture et une jolie poignée de billets dès notre retour puis de prévenir Dadd que le séjour se prolongeait quelque peu, ne nous restait plus que 500 kms à faire, dans un blizzard permanent. Voilà comment nous n’atteignîmes jamais Ampuis et comment Frankie s’est fait soulager de quelques belles coupures qui l’encombraient.

* Avez-vous remarqué comme moi cette tendance naturelle à rajouter des « y Â» dans toutes les phrases à l’approche de la région lyonnaise ? On y fait sans le vouloir.

Liste des vins : Domaine Romaneaux-Destezet – Domaine Gramenon – Château de Suronde – Domaine Auguste Clape – Domaine Thierry Allemand – Domaine Alain Voge – Domaine du Tunnel – Domaine du Coulet

Extrait de Trente nuances de gros rouge, aux Éditions de l’Épure, par Philippe Quesnot, évidemment.

4 réponses à “La Mercos’ à Dadd’”

  1. pascal écrit :

    merveille !!
    une affiche ! une affiche !!
    bravo à tout les deux !!!
    Pascal

  2. Claude DUFFOUR écrit :

    Bravo les gars !
    Ah, ……Reynard et Chaillot de T. A.

  3. RoRo écrit :

    Quelle épopée !!

  4. JEAN CLAUDE DEVALLAND écrit :

    NOUS AUSSI !
    Quelle virée, et si on est chanceux, on n’en fait guerre qu’1 ou 2 comme celle-là dans 1 vie….Moi, j’en ai faite 1 (En automne 2019) avec mon frère (et à nous 2, nous avions 132 ans). C’était sur l’île d’Aix en Charente Maritime….Commencée vers 17H00 par le tour de l’île en calèche privatisée pour la circonstance avec dégustation de Pineau des Charentes; arrêt aux restaurant les « Paillottes » pour un dîner en plein air autour d’1 brasero avec langouste et magnum de Château Puech Haut. Le repas se termina vers 23H30 avec cigare et cognac et nous rentrâmes à pied (environ 900 m à 1,1 km) jusqu’à notre hébergement au centre du village, il nous fallut 1H40 pour regagner notre location! Quel mémorable souvenir de pochetrons heureux d’avoir vécue une si merveilleuse soirée

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