Bouteille à la mer
lundi 26 juillet2021
* à savoir GLOUGUEULE, G… oh ça va, vous les connaissez les autres.
Sur le Sinaï, Moïse n’a pas hésité longtemps quand le Patron lui a proposé de choisir entre les Tables de la Loi et la Carte des Vins de l’Hôtel des Bains. Ce n’est pas que le barbu ne jouait plus de la gourde ou qu’il préférait se démonter l’épaule avec ses deux plaques de marbre. Non, tout simplement le parchemin bien trop long se prendrait à coup sûr dans les plis de sa robe, rendant toute descente digne improbable. Se vautrer devant ses condisciples et leur exposer son intimité, non merci, d’autant que notre prédicateur était un adepte du tout plein air et des tatouages confidentiels.
Cet extrait du Lagarde et Michard consacré aux premiers temps de la Chrétienté illustre bien l’image que je me faisais de l’Hôtel des Bains, une liste étourdissante et exhaustive imprimée sur papier bible, tant elle renfermait de références.
Toto, cet autre prosélyte, sans y être jamais allé m’avait décrit méticuleusement le lieu et confirmé l’extrême importance que nous avions de nous y rendre impérativement dès que possible par tous moyens de locomotion aériens, fluviaux ou terrestres dont nous pourrions disposer y compris par la violence la plus extrême. « Charavines c’est le St Graal disait-il, Bethléem et La Mecque réunis, pour les croyants intégristes tendance écolo que nous sommes c’est l’assurance de pratiquer notre religion et respecter ses préceptes avec une empreinte carbone réduite au minimum ».
Le salon des vignerons d’Albiez que Marcel Richaud organisait était l’occasion parfaite pour nous dévoyer. Deux heures de route nous mettraient en appétit avec une arrivée planifiée vers midi trente, idéalement pour le coup de blanc et la leçon de natation synchronisée des goujons du lac dans leur bain de friture. A la demie pile, les graviers sous les ombrages bruissaient de nos pas, on se doit d’être à l’heure à un premier rendez-vous. Détendu, le sourire aux lèvres, la mèche au vent et la sécurité du holster libérée, Pascal nous attendait prêt à dégainer le tire-bouchon. Le protocole des présentations d’usage fut escamoté au profit de chaleureuses poignées de main suivies de fraternelles embrassades, le temps était compté, il nous fallait bruler les étapes. Sans nous connaitre, nous avions la sensation confuse d’appartenir à une même famille, réunie pour le repas dominical traditionnel sous les platanes de la maison de l’ancêtre. Cinq assiettes de friture et un Château des Tours blanc atterrirent en entame suivis de deux côtes de bœuf persillées accusant chacune largement le kilo sur la bascule accompagnées de frites maison croustillantes et d’une salade, alibi choisi pour attester d’un contact avec un légume. Tout en orchestrant le service Pascal nous accompagna sur le registre du liquide, envoyant un blanc de Laurent Combier puis pour clore la rare cuvée « Parisy » assemblage de grenache et cinsault de E. Reynaud. Malheureusement deux impératifs nous entravaient le gosier depuis le début, à 17h nous devions déposer Philippe à la gare de Grenoble, puis reprendre la route jusqu’à Sisteron. Autant dire que ce repas s’était déroulé sous le haut patronage de Saint Ethylotest. D’ordinaire, lorsque nous jouons à domicile, Philippe et moi sommes capables de facilement démontrer les liens existants entre attraction terrestre et évaporation des liquides, mais là , pas question de déroger. Sages nous n’avons même pas terminé le Parisy, ce qui en d’autres circonstances aurait pu être pris pour un affront par notre hôte. Afin de nous imprégner du lieu et graver ces instants nous avons terminé par une visite complète de l’établissement en omettant la cave, c’eut été trop douloureux. Il y a des rencontres qui ne devraient se faire que dans la durée, sur le temps long, seule l’heure d’arrivée serait connue. Peu de choses auraient alors de l’importance, ce qui se fera la prochaine fois, qu’aucun de nous n’en doute.
Le temps ne fait rien à l’affaire. Les mois ont passé et ce qui au début aurait pu passer pour simple négligence amicale atteste désormais d’un manque de savoir-vivre certain. Il va falloir s’y faire, tu ne reviendras pas.
Tu as beau t’être fait la malle en loucedé comme à ton accoutumée, petit bout par petit bout cette fois, version pièces détachées, ton absence se remarque chez les amis, ton fauteuil reste vacant, une déshérence remarquée dans le mannequinat Glougueulesque, nul repreneur, personne à la barre.
Il y a un an avec ma fiancée, nous prenions le café, prêts à tailler la route pour te rendre visite, le panier rempli de victuailles, assemblage subtil de gras et gamays recommandés par notre faculté quand nous avons appris que tu avais décidé de quitter définitivement la Seyne. Du coup nous avons tout mangé et bu en ton honneur, ne doutant pas qu’être soutenu sur Terre par un tel comité t’assurerait une place de choix à la droite du bistrotier céleste.
C’était aussi mon jour de gloire, la sortie nationale de « Vingt en Vrac » deuxième tome de mon encyclopédie thématique « De l’Art de paraitre sçavant en toutes circoinstances » me procurait auprès de ma fiancée l’aura dont je rêvais. Enamourée, les yeux embués, elle faillit ce jour-là accéder à mon éternelle demande.
De méchantes langues avancent que tu aurais préféré décéder plutôt que d’avoir à avaler telle purge littéraire ? Je ne peux le croire.
Voilà  ! Cela fait un an et je suis seul dans le train qui m’emmène à la capitale, personne avec qui partager mon pâté de tête, les beignets de châtaigne, le figatelli, pas de Dilettante de l’ami Pierrot sur la tablette, j’ai perdu mon partenaire de virée en terres vigneronnes.
Ton absence me pousse vers une sobriété non désirée ni consentie, rude épreuve pour qui s’est fait tatouer sur le torse « You’ll never drink alone » après avoir entendu, mal m’assure t-on, les chÅ“urs de Liverpool entonner ce chant dans le stade d’Anfield Road.