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Le Quintette de Miles Davis

dimanche 24 février2013

Il y a de cela quelques années, Alain Parodi tenait à Valbonne un restaurant un macaron où nous allions nous régaler : Le Cigalon. Ce jour-là, nous étions cinq et, bien installés sur la table ronde au fond de la salle, nous nous délections de produits simples de la région aux cuissons impeccables. Et ce qui n’enlevait rien au plaisir, nous abusions innocemment de sa carte des vins somptueuse, enfin le bonheur, quoi.

Bercés par le quintet de Miles Davis, Pierre eut soudainement l’idée saugrenue d’en énumérer la formation : John Coltrane au sax ténor, Red Garland au piano, Philly Joe Jones à la batterie et Ron Carter à la contrebasse. Grofé qui en a fait avouer plus d’un à Guantanamo grâce à sa pratique de l’engin le reprend à la volée et annonce : « Paul Chambers à la contrebasse, pas Ron Carter! » Pierre n’en démord pas.

L’affaire s’engageait pour le mieux, suffisait de souffler sur les braises. Après qu’ils eussent argumenté en déballant tout le matériel du spécialiste ressorti du coffre de la R16, j’appâte. « Bon écoutez! Puisque vous êtes sûrs tous les deux d’avoir raison, il faut un enjeu! » En chÅ“ur: « Pas de problème! ». Je lance mes deux lignes. « Et si le perdant se chargeait des vins ? » D’un côté, rapide calcul des droits d’auteur à rentrer, de l’autre, se souvenir de l’endroit où la chaussette est planquée… « D’accord! » Le repas se prolongea tout en douceur, avec une ou deux jolies bulles. Chacun des trois innocents prenant garde de ne pas accabler le futur perdant par avance et prenant soin de ne pas abuser sur les flacons. Un retour de flamme étant si vite arrivé de nos jours pour des gens comme nous qui ont la fâcheuse tendance d’ouvrir parfois un peu trop rapidement leur bouche. Enfin tout le monde remercia Miles et Pierre, qui pourra toujours se vanter d’avoir incorporé un instant le célébrissime quintet à la fin du concert en interprétant un bref solo de carte bleue.

Du Chave à Thorrenc

lundi 21 janvier2013

J’avais au fond des oreilles, à mesure que nous nous engagions dans cette vallée, comme un air de banjo qui s’énerve, ne tardant pas à recevoir en écho le renfort de son jumeau. Je guettais par la fenêtre, à travers les premiers flocons, l’apparition de l’enfant albinos. La nuit tombait et avec, la sensation que l’heure du retour se confirmait, indéfinissable. La perspective de ce repas à l’Auberge de Thorrenc, la chaleur enveloppante dans cette voiture, la neige et puis surtout  cette phrase en boucle de René-Jean Dard qui résonnait : « Vous verrez, il y a du Chave à 500 F sur table » avaient installé un climat de molle frénésie. À la lecture de la carte, nous avons compris qu’il nous fallait absolument trouver où dormir dans le village.

« Ah! c’est dommage! Il y a bien des chambres d’hôtes mais elles sont fermées depuis peu! » Après coups de fil, négociations et suppliques diverses, une charmante dame nous a donné les clefs d’une maison, nous précisant que nous avions de la chance car il y avait suffisamment de chambres et de lits pour nous quatre, mais qu’il ne faudrait pas lui en vouloir, le chauffage étant coupé depuis quelque temps, nous risquerions d’avoir froid.

Aucune inquiétude à ce sujet, persuadés que la soirée nous donnerait l’occasion d’alimenter la chaudière. Un soir de semaine en hiver dans une auberge au fond d’une vallée de l’Ardèche, voilà le secret pour ne pas être dérangés par vos voisins de table et bénéficier de toute l’attention des propriétaires. Seuls clients, installés à côté de la cheminée, à proximité de cave et cuisine. Vous dire ce que nous avons mangé et bu serait mentir éhontément, à part le Chave « qui en a pu ».

Je me souviens des ris de veau. Je me souviens qu’après avoir largement visité la carte des vins, nous avons proposé à nos hôtes d’ouvrir une ou deux bouteilles, peut-être même plus, rapportées de notre périple; que la pente enneigée était très piégeuse; qu’après avoir fait plusieurs fois le tour de la maison, nous avons constaté qu’elle ne disposait que d’une chambre et d’un hall avec, en tout et pour tout, un lit deux places et un canapé-lit; que naturellement les couples se sont formés : les anciens du Repaire de Bacchus et qu’il me restait mon Grofé à moi, fidèle compagnon de déroute; qu’un lit de 120 pour deux tourtereaux qui tutoient le quintal favorise une trop grande promiscuité; que les tympans de mon ami ne supportant pas mon léger feulement nocturne, Grofé s’était transformé en tête de veau, les oreilles farcies au papier toilette rose; que d’un commun accord, tous les quatre, nous avons décidé de ne jamais évoquer cet épisode.

Et c’est à l’occasion du projet de loi sur le mariage pour tous que je me sens autorisé à rompre le silence. En avance sur notre temps, nous étions bien ce soir là quatre glaçons dans le vin.

Chronique de l’amer

dimanche 11 mars2012

C’est devenu monnaie courante de lire à la page des faits divers la relation d’un de ces débordements dû à l’alcool qui aura mené deux amis de longue date à des extrémités qu’ils regretteront le lendemain une fois dégrisés.

Je ne déroge pas à la règle. M’est-il arrivé par le passé de vous narrer par le menu cette lamentable aventure qui m’avais amené à participer à ce collectif appelé « Galinette » du nom du submersible que nous avions acheté en commun? (Nous pensions acheter un cigare des mers, il ne s’agissait que d’un mégot flottant). La règle étant que le démissionnaire ne pouvait rien réclamer lors de son départ, je m’étais résolu à admettre que deux promenades en mer à ramer et à écoper le gas-oil en fond de cale pour 1500€ était une bonne affaire.

Eh bien je suis tombé l’autre jour sur ces photos au beau milieu du quotidien local où il était rapporté qu’abrutis par l’absorption excessive de grenache (Cuvée Galinette du Domaine de Sulauze de Karina et Guillaume Lefèbvre), les deux derniers actionnaires en étaient venus aux mains. Il semblerait d’après les premiers résultats de l’enquête que Rénato Bellamusicatchitchi n’ait pas supporté que son ami Jacfé ait changé la barre de direction pur style Henri II pour une « spéciale sport » avec fourrure, plus en rapport avec la nature même de cet ouragan des mers. Un détail anodin qui, amplifié par l’ivresse, aura pris des proportions démesurées.

Une fois leur magnum de honte bue, comme beaucoup de couples alcooliques, les deux compères auraient repris une vie maritime commune. Jusqu’au prochain excès, n’en doutons pas, malheureusement. Par bonheur, aucun enfant n’était pris en otage dans cette sinistre histoire.

Rappelez-vous, parfois l’alcool peut nuire. Parfois mais pas toujours.